Auteurs : Lucie Arnaudet et Anne-Sophie Bonnet-Lebrun
Mots-clefs : sols, qualité, pollution, labour, érosion, microfaune
1. Dommages causés aux sols : érosion et pollution
En 2008 a été mis en place le Réseau de Mesures de la Qualité des Sols (RMSQ) [1] sous le contrôle de l’INRA. Le réseau RMQS repose sur le suivi de 2200 sites répartis uniformément sur le territoire français, selon une maille carrée de 16 km de côté. Des prélèvements d’échantillons de sols, des mesures et des observations seront effectués tous les dix ans au centre de chaque maille. Les résultats des mesures de 2008 ont permis de faire un premier état des lieux des sols [2] en France. Celui-ci a montré que le sol souffrait principalement de l’érosion et de la pollution.
La pollution est un gros problème car les sols gardent en « mémoire » les produits chimiques : des polluants organiques comme les dioxines, les PCB (polychlorobiphényles) ou les HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) ainsi que des taux importants de métaux lourds comme le plomb. Les engrais, les insecticides, les produits anti-fongiques ainsi que les désherbants marquent les sols. Ces pollutions dues à l’industrie et à l’agriculture intensive ne touchent pas uniformément le territoire français comme le montrent les résultats du RMQS. Les pollutions industrielles sont très importantes autour des villes comme Paris, où les industries et la forte utilisation dans le passé de carburant plombé ont marqué le sol en plomb. De plus, le fait que les terres agricoles cultivées intensivement soient naturellement très pauvres en éléments minéraux comme l’azote, le potassium et le phosphore, pousse les agriculteurs à utiliser des apports chimiques pour ces éléments. Ainsi, en Bretagne, on a observé des taux très élevés de phosphore dans les sols. Le problème de la pollution des sols n’est pas propre à la France et se retrouve partout dans le monde au niveau des zones urbanisées, industrielles et dans les zones cultivées intensivement. L’ utilisation massive d’engrais organiques [3] est dangereuse tout comme l’utilisation d’engrais chimiques.
L’autre principal problème des sols est l’érosion. D’ après le RMQS, 20 % à 25 % des terres arables françaises subissent une érosion qui ne pourra pas être supportée durablement. Ce phénomène est concentré dans les grandes plaines limoneuses du nord du Bassin parisien, en Picardie, dans le pays de Caux, le Languedoc et dans une partie du sillon rhodanien. Mais il ne concerne pas seulement la France. Les terres cultivables ne se renouvellent pas à court terme et on en perd environ 0,5 % par an par érosion au niveau mondial. Daniel Nahon, professeur de géochimie à l’université Paul-Cézanne d’Aix-en-Provence et auteur de L’Épuisement de la terre (Odile Jacob).
L’agriculture intensive, qui utilise des machines, impose aux agriculteurs de faire des parcelles de plus en plus grandes. Ceci les pousse à supprimer les haies, les arbres le long des champs. Additionné à la déforestation, ceci diminue le nombre de racines qui retiennent le sol lors des fortes pluies. Le labour est un des principaux responsables de l’érosion. Il met le sol à « nu » durant plusieurs mois. Comme il n’y a plus de racines, l’eau n’est plus retenue dans le sol et l’on observe un phénomène d’érosion.
La technique du labour [4] qui est utilisée dans l’agriculture traditionnelle et intensive amène à la compaction du sol. Les particules de sol se réarrangent sous l’effet d’une pression externe. Celle-ci résulte de la circulation de machineries lourdes ou du passage dans le sol d’outils de travail. Les passages répétés de tracteurs, la charge importante par essieu, le travail du sol en conditions trop humides augmentent les risques. Il peut s’installer alors un cercle vicieux où les travaux se font sur des sols de plus en plus tassés et où les cultures ont de plus en plus de mal à se développer. La compaction entraîne une réduction du volume d’air contenu dans les sols. Lorsque l’échange d’air entre le sol et la racine est plus difficile, le travail des micro-organismes et par-là même les rendements sont réduits.
De plus, la compaction des sols empêche l’eau de pénétrer rapidement dans le sol lors des pluies ce qui favorise le ruissellement et donc l’érosion.
2. La perte de biodiversité du sol
La perte de biodiversité du sol est notable dans les zones cultivées intensivement. L’utilisation de désherbants ou d’insecticides tue les vers de terre, les acariens... qui participent à « la vie du sol ». Le labour leur est également néfaste, la terre retournée étant exposée au soleil est « brûlée ». Là aussi, un cercle vicieux se met en place. La microbiologie du sol [5] lorsqu’elle est absente, n’oxygène plus le sol, ne consomme plus les déchets organiques... les sols sont plus pauvres en nutriments, ce qui encourage l’utilisation de produits chimiques qui tuent la faune du sol.
Les chercheurs Claude et Lydia Bourguignon ont créé le LAMS, [5] un laboratoire d’analyse de sol spécialisé dans l’étude écologique de profil cultural pour restaurer la biodiversité des sols. Anciens chercheurs de l’INRA, ils ont beaucoup critiqué (au cinéma, dans des reportages à la télévision) les effets néfastes de l’agriculture intensive sur la microbiologie du sol. Ils évoquent même la « mort des sols » [6] . Ils proposent cependant des solutions. La diminution des engrais est possible par une adaptation des cultures au type de terrain et la rotation des cultures. Les légumineuses permettent par exemple de diminuer l’utilisation d’engrais azotées. Des alternatives existent pour réduire les effets de la compaction, comme éviter de circuler sur des sols humides ou trop travaillés, diminuer la pression exercée par le machinerie, limiter le passage des machineries en circulant dans des allées prévues et non cultivées, faire des rotations et maintenir un bon taux de matière organique. De même, choisir des pneus plus souples et à basse pression augmente la surface de contact au sol et limite la compaction en profondeur.
Le labour est évitable. Il peut être remplacé par les techniques culturales simplifiées (TCS) qui ont été initialement développées en Amérique du Sud comme alternative aux méthodes classiques qui avaient été importées par les colons européens et étaient inadaptées aux conditions pédoclimatiques. Il semble que ces techniques soient adaptables à d’autres types de terrains. Par exemple, la technique du semis direct sous couvert associée à une rotation des cultures performante permet d’éviter le labour.
En France beaucoup d’agriculteurs n’utilisent plus le labour [7] , mais dans la plupart des cas les raisons sont économiques et ce choix de culture n’est pas définitif pour eux.
3. Mise en place de mesures de protection
L’ Europe est consciente de l’importance d’un changement des pratiques agricoles pour le sol. La PAC contribue à prévenir et à atténuer ces processus de dégradation. Les mesures agro-environnementales prévoient en particulier des aides aux agriculteurs pour favoriser les actions en faveur de la protection des sols. En 2006, la Commission européenne a adopté une stratégie thématique en faveur de la protection des sols. [8] . Mais aujourd’hui, les États membres ne sont pas parvenus à arrêter une position commune sur la proposition de la Commission et les discussions sont toujours en cours.
En ce qui concerne les autres pays du monde, la convention de Rio sur la diversité biologique (CDB) a considéré que la biodiversité des sols nécessite une attention spéciale, ce qui a justifié une Initiative internationale pour la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique des sols. Divers états (USA, Japon, Canada, Australie, Brésil et quelques pays en développement), ont créé des politiques d’observation (inventaire et cartographie des aléas, état des lieux, cartes de risques et dangers) et de protection des sols s’appuyant sur des lois, des orientations, du monitoring, parfois des systèmes de taxation, des inventaires, des programmes d’assainissement et des moyens financiers pour traiter les sites contaminés à propriétaires inconnus ou défaillants.
Enfin le protocole de Kyoto reconnaît au sol une fonction de puits de carbone à protéger et renforcer quand on le peut. Il envisage la séquestration du carbone dans les sols agricoles, via des pratiques adéquates de gestion des sols. L’UE via son groupe de travail du Programme européen sur le changement climatique (PECC) estime que les sols agricoles de l’UE peuvent aujourd’hui absorber 1,5 à 1,7 % des émissions anthropiques de CO² de l’UE (pour la durée de la 1ère période d’engagement du protocole de Kyoto).
Sources :
[1] Réseau RMQS, Réseau de Mesures de la Qualité des Sols
[2] INRA, 2008, « L’état de l’évolution de la qualité des sols en France »
[3] Claude Bourguignon, 2006, « La destruction des sols par l’agriculture intensive »
[4] Myriam Gagnon, 2009, « Le diagnostic de l’état des sols »
[5] Laboratoire LAMS
[6] Jean Druon, « Alerte à Babylone » (entretien avec Claude Bourguignon)
[7] Agriculture-de-conservation.com, 2008, « Dans le sillon du non-labour »
[8] Eur-Lex, l’accès au droit de l’Union