Auteur : Ségolène Marchal
Les raisons de la volatilité des prix agricoles
La volatilité des prix s’explique tout d’abord par des causes conjoncturelles. On pense bien évidemment aux facteurs climatiques : des sécheresses ou des inondations dans un pays dont la production est importante peuvent affecter largement les cours mondiaux. Les facteurs économiques entrent aussi en ligne de compte puisque les décisions de pays d’augmenter ou de baisser leurs barrières douanières, ou de subventionner momentanément leur agriculture ainsi que les variations des prix des matières premières jouent un rôle sur l’évolution des prix. Les évolutions de plus long terme expliquent la volatilité des prix, comme l’apparition de nouveaux produits ou techniques de production. Cette volatilité des prix est aggravée par des caractéristiques structurelles du marché agricole : la production agricole nécessitant de longues périodes de maturation et impliquant des frais fixes irrécupérables, l’offre ne s’équilibre à la baisse que très lentement en cas de chute de la demande. En cas de hausse des prix, les agriculteurs accroissent massivement leur production, ce qui entraine une baisse des prix, mais alors on se retrouve pour un certain temps dans une crise de surproduction, allant de pair avec une période longue de prix déprimés. Sur le plan international, les variations des prix agricoles sont accentuées par les anticipations de marché notamment sur le climat, sur les prix et quantités, sur les évolutions politiques et les spéculations sur les marchés boursiers de contrats à terme. La spéculation sur les produits agricoles vient aggraver la volatilité des cours puisque ces produits apparaissent souvent comme des valeurs refuge pour les spéculateurs.
L’exemple le plus flagrant de cela est la flambée des cours agricoles s’étalant du second semestre 2006 à l’été 2008. La sécheresse australienne et ukrainienne, les inondations dans l’Iowa, les restrictions à l’exportation tout comme la hausse des cours du pétrole et des coûts de production dans l’agriculture, la dépréciation du dollar, la diminution des stocks et l’essor des biocarburants ont contribué à cette hausse des prix brutale et surprenante. Les stocks mondiaux étaient alors au plus bas et les cours mondiaux au plus haut. Le prix des céréales a ainsi été multiplié par deux après avoir connu une baisse de 60% en 35 ans, faisant passer le prix du blé de 150$ la tonne à 340$. Celle-ci a eu des conséquences dramatiques dans de nombreux pays en développement puisque des émeutes de la faim ont éclaté un peu partout en Afrique, en Haïti, en Asie (Indonésie, Philippines…), et en Amérique latine. Néanmoins, cette flambée des cours a été suivie par une rechute tout aussi brutale.
Au sein de la communauté européenne, cette forte volatilité inhérente aux prix agricoles a justifié la mise en place de la PAC, pour assurer une certaine stabilité des prix. Il n’en va pas de même dans les pays en développement soumis aux fortes fluctuations des prix agricoles. Cela pose un fort problème en termes de revenu des agriculteurs du Sud pendant les longues périodes de prix déprimés. D’autant plus que, sur le long terme, les prix des produits de base ne cessent de décliner depuis les années 60, avec une chute particulièrement forte dans les années 80. Par exemple, le prix du grain de café était, en 2001, égal à 25% du niveau enregistré en 1960 ; entre 2000 et 2002, le prix moyen du café Robusta a encore baissé de 30%.
La hausse de la productivité et la faible élasticité de la demande pour les produits concernés sont à l’origine de cette forte baisse des prix. A cela, il faut ajouter une augmentation incontrôlée de l’offre par les producteurs traditionnels dans les années 80 pour compenser la détérioration des réserves de devises de leur pays. Ainsi, entre 1980 et 1990, en dépit d’un faible niveau des prix, les volumes des exportations de produits primaires des pays en développement ont progressé de plus de 40%.
Enfin, il faut signaler l’entrée de nouveaux producteurs sur certains marchés agricoles qui contribue à installer des crises de surproduction chroniques sur ces marchés : le marché du café, depuis l’entrée du Vietnam qui est devenu en 10 ans le deuxième producteur mondial et la mise en culture de nouvelles zones au Brésil, souffre d’un déséquilibre structurel (production en 2001/2002 estimée à 115 millions de sac pour une consommation de 105 millions de sacs).
L’absence de régulation des prix par la communauté internationale
Pour assurer la pérennité de l’activité économique des agriculteurs des pays en développement, une régulation économique mondiale parait donc nécessaire. Celle-ci peine à se mettre en place aujourd’hui.
A partir des années 60, des accords concernant le café, le cacao et le caoutchouc ont été mis en place, comportant un volet économique avec un système de quotas d’exportation (pour maintenir les prix dans une certaine fourchette), ou un système de stocks internationaux gérés par des organisations lorsque les prix tombaient au-dessous d’une fourchette convenue. Mais le volet économique de ces accords a été suspendu, et ils n’existent donc plus que sous une forme amoindrie.
Une deuxième tentative de régulation des cours du café a vu le jour en 1993, par la mise en place de l’Association Internationale des Pays Producteurs de Café. À la suite de cette initiative, qui incluait un plan de rétention et de régularisation de la mise sur le marché de la production, les prix du café se sont nettement redressés (de 900 dollars à 5000 dollars la tonne). Mais l’entrée sur le marché de la production vietnamienne, encouragée par une aide versée par le FMI, a fait imploser le système.
Quelles sont les conséquences de cette forte volatilité des prix agricoles sur les économies des pays en développement ? [cf. article« La trappe à pauvreté de la dépendance »]