Nous allons maintenant analyser les limites de cette appropriation de la mémoire des catastrophes du passé par les individus, dans les processus de résilience sociale. Pour cela nous allons procéder à une analyse comparative de deux inondations dans des contextes culturels et de développement socio-économique différents : D’une part les inondations de 2003 à Arles en France qui ont duré 10 jours, touchant 8000 habitants (4 ; Figure 2). D’autre part l’inondation de 2010 au Bénin qui ont fait 46 morts et ont touchés 50000 habitations (5 ; Figure 3).
Figure 2. Kpoto, vulnérabilité contrastée selon le type de matériaux de construction. |
Figure 3. Les inondations à Arles en 2010, moindre vulnérabilité du bâti. |
Dans les deux cas il apparaît que les habitants des régions disposent d’une « mémoire du risque » qu’ils mobilisent au moment de la catastrophe. Ainsi en Arles, 75% des habitants interrogés disposent de savoirs généraux sur les risques liés au Rhône, par exemple connaître la date de la dernière inondation, tandis que 44% ont reçu des récits de leurs proches sur les épisodes passés. Cette mémoire collective remonte jusqu’aux inondations de 1856. De même au Bénin les habitants des villages de Kpoto et Agonvé interrogés disposent d’une mémoire des événements de 1939, 1988, 1998 et 2007 malgré une population plus jeune.
Pourtant, la résilience observée est ainsi très différente dans chaque cas : en France, malgré l’inondation de certains quartiers pendant 10 jours, la présence de réseaux d’alertes et d’information réactifs, d’infrastructures de transport de qualité puis le jeu des assurances ont permis d’engager une vrai résilience post-catastrophe. Inversement au Bénin se sont fait sentir des insuffisances : inexistence de systèmes d’alerte précoce opérationnels, évacuation des sinistrés par leurs propres moyens, souvent à pied. Les habitats traditionnels en terre sont très vulnérables et ne peuvent pas être surélevés expliquant l’importance des destructions. La majorité des habitants sont retournés dans leurs villages par manque d’alternative.
Ainsi, la mémoire sociale et individuelle des risques à pu être mobilisée par les individus après la catastrophe pour la mise en place de stratégies de résilience. Toutefois, la différence de mémoire et de connaissance des risques n’est pas déterminante pour expliquer le caractère insatisfaisant de la résilience au Bénin : les individus sont contraints par leurs possibilités matérielles et leur inscription dans des structures institutionnelles déficientes. Ainsi, cela révèle que des mesures d’information et d’éducation à la résilience sont inutiles si elles ne sont pas associées à des possibilités matérielles.
(4) C. Labeur, ‘Raconter l’inondation quand les récits de la catastrophe se font mémoire du risque’, Géocarrefour 88 n°4.
(5) M. Ahouagan, B. Djaby, P. Ozer, Y. Hountondji, A. Thiry, F. de Longueville, ‘Adaptation et résilience des populations rurales face aux catastrophes en Afrique subsaharienne. Cas des inondations de 2010 dans la commune de Zagnanado’, Université de Liège.