Cette conférence fait partie du Cycle L’eau : les enjeux du 21ème siècle
23 octobre 18h-20h, salle Dussane, 45 rue d’Ulm :
Bernard Barraqué
Dans cette conférence, on veut d’abord aider les participants à sortir du romantisme gauchiste selon lequel l’eau devrait être un bien public mondial ou un or bleu. L’eau n’est pas un minerai, mais une ressource naturelle renouvelable, sujette à un droit bien différent du code minier dans la plupart des civilisations. L’eau est un bien public impur, car elle peut faire ici l’objet de rivalités, et là d’une possession exclusive, mais rarement les deux à la fois. On parle alors de l’eau comme bien public impur. Mais il y en a deux sortes, illustrées par les communautés d’irrigants ou de drainage d’un côté, et par les services publics d’eau potable de l’autre. En effet, le décalage est frappant : à l’idéal d’un service collectif, distribué de façon égalitaire à des consommateurs payant au volume pour un service continu, répond la survivance fréquente d’une tradition communautaire dans la gestion d’une ressource partagée équitablement, mais payée au forfait. Or l’égalité consumériste dans l’eau potable est de fait remise en cause par la nouvelle problématique en termes de solidarité et d’équité que soulève la question du maintien du service de l’eau aux plus démunis. On voudrait ici reprendre la problématique de Max Weber et de Ferdinand Tönnies, celle du passage de la Gemeinschaft à la Gesellschaft (communauté – société) dans la société contemporaine et capitaliste, avec l’apport de l’économie institutionnelle en termes de ‘biens publics impurs’.
Ce sont les travaux d’économie publique et institutionnelle, de Paul Samuelson à Elinor Ostrom, qui ont fait émerger cette notion de biens publics impurs : pour qu’un bien soit clairement de marché, il lui faut deux caractéristiques simultanées : être sujet à une rivalité pour son utilisation, et être susceptible d’une appropriation exclusive. Inversement un bien public pur a les deux caractéristiques inverses de non-rivalité et de non exclusion possible. Si les biens de consommation sont des biens de marché (private goods), d’autres biens sont nécessairement publics : un phare par exemple est fait pour être vu de tous les bateaux sans exclusion, ni rivalité entre eux. Dans ce cas, le financement du bien ne peut être assuré que par de l’argent public, par exemple grâce à des impôts payés par les citoyens. Mais il existe des biens exclusifs sans rivalité : ce sont des ‘biens de club’ (ou à péage, toll goods and club goods) : un bon service public comme l’eau du robinet en Europe est fait pour être utilisé par tous les abonnés sans rivalité entre eux, mais si on ne paye pas sa facture ou son abonnement, le service est normalement coupé. Notons ici que, dans nombre de pays en développement, une fraction significative de la population n’est pas raccordée au réseau, et elle est alors exclue du ‘club’ ; elle n’a de rapport à l’eau que comme ressource naturelle.